Makina Blog
Geotrek, 11 ans d’une communauté grandissante
Cet article présente l'organisation communautaire du logiciel libre Geotrek et met en avant quelques ingrédients, qui selon nous, permettent de fédérer et donc de participer à la réussite d'un logiciel libre.
Geotrek est un logiciel libre qui permet à une collectivité, ou plus largement un territoire, de gérer en ligne des sentiers de randonnées, des sites de sport pleine nature. Il est également possible de gérer des aménagements, signalétiques, interventions et chantiers, mais aussi des zones sensibles comme la nidification d’espèces protégées par exemple.
Imaginé en 2011 par les Parcs Nationaux des Écrins et du Mercantour, et par le Parc Alpi-Marittime, c’est à Makina Corpus qu’est attribué l’appel d’offre déposé par les trois parcs naturels : la première ligne de code est écrite début 2012 par Mathieu Leplatre.
Depuis, Geotrek c’est :
- Une application web de gestion, deux applications de valorisation web et mobile, un widget d’intégration dans votre site web
- Au moins une centaine d’organisations utilisatrices identifiées
- Quatre rencontres des utilisatrices et utilisateurs en 2016, 2017, 2019 et 2021
- Plus de 13000 commits pour l’application de gestion, plus de 3000 pour la version 3 de l’application de valorisation, 288 pour la version 2 de l’application mobile créé en 2019, et 114 pour le widget créé en juin 2022
Pour Geotrek-admin en particulier, l’application de gestion, voici les statistiques de développement issues de Github à ce jour :
- 13558 commits
- 38 contributeur.ice.s
- 332 releases
L’organisation de la communauté
La communauté autour de Geotrek est constituée des utilisatrices et utilisateurs de diverses collectivités et autres organisations. Elle se réunit dans différentes instances, et nécessite un travail d’animation régulier.
Cette organisation s'est auto-construite au fil du temps, en réponse généralement à des besoins ou propositions de certains membres, et nous vous présentons ainsi la résultante après plus de 10 ans d'évolution.
Les instances de la communauté
Le COPIL (comité de pilotage) a un rôle actif dans l’animation, la gouvernance et la cohérence de Geotrek. Il est chargé de :
- Garantir la concertation et la cohérence des développements
- Organiser la gouvernance du projet
- Organiser le partage et la communication des ressources
- Suivre les projets de développement et de partenariats / groupes de travail / thématiques
- Organiser les Rencontres Geotrek de la communauté des utilisateurs
Pour discuter de thématiques spécifiques, les groupes de travail regroupent les personnes intéressées, et sont autonomes dans leur organisation.
Les sujets abordés dans ces groupes thématiques sont variés : conception d’une nouvelle fonctionnalité, modèles de données autour des sports de pleine nature, prise en compte des conflits d’usages autour des zones sensibles, ergonomie de l’application web, etc. L'idée est de réunir des profils d'utilisateur·ice·s variés afin de bien comprendre les besoins pour faire évoluer le logiciel tout en conservant une vision générique utile au plus grand nombre.
Ces ateliers permettent à chaque structure utilisatrice de faire part de son usage et de ses cas spécifiques et ainsi de mieux prendre en compte les besoins de chacun dans la conception de l’outil commun.
Un point essentiel : animer la communauté
La communauté ne s’est pas créée en une journée, vous vous en doutez. Pour faire vivre et grandir cette communauté, l’animation est primordiale. Ce rôle est majoritairement assuré par Camille Monchicourt du Parc National des Écrins.
L'animation consiste à :
- Communiquer sur les nouvelles fonctionnalités
- Répondre aux questions posées dans les tickets GitHub ou via les autres outils de communication
- Transmettre à l’ensemble de la communauté les problématiques soulevées dans les groupes de travail ou ailleurs
- Faire le lien avec d’autres organisations ou institutions
- Favoriser le financement par la communauté de nouvelles évolutions mais également la maintenabilité des applications
- Organiser les développements souhaités
Pour l'aspect technique et l'animation de la communauté sur Github, Makina Corpus est également impliquée depuis le début du projet.
Vous retrouvez ces tâches dans bien d’autres communautés du logiciel libre, voire même au-delà.
Une communauté active, dans quelle mesure ?
Une communauté diversifiée
Si quasiment toutes les structures utilisant Geotrek sont des collectivités, il réside néanmoins une diversité des administrations publiques utilisant Geotrek, avec des besoins parfois différents : départements, Parcs nationaux, Parcs naturels régionaux, communautés de communes, Offices de tourisme, et également la Ligue Protectrice des Oiseaux pour Biodiv’ Sports.
Des administrations publiques de type très divers se sont organisées en communauté pour construire un projet commun et collectif, dépassant les réseaux de structures habituels et décloisonnant celles-ci, avec des mutualisations conséquentes et inédites. C’est tout le modèle et la dynamique communautaire qui ont créé des économies de financement public, qui attire le plus souvent l’intérêt quand j’en parle. – Camille Monchicourt, PN des Écrins
Les Offices de Tourisme ont un besoin fort sur l’éditorial. Certains départements et communautés de communes, ainsi que les Parcs Nationaux, ont des problématiques de gestion très poussées, notamment sur la signalétique ou l’entretien des sentiers. Les départements en particulier doivent gérer des réseaux de sentiers, mais également valoriser des sites de sport pleine nature qui sont souvent gérés au niveau des fédérations sportives.
Une partie des missions du COPIL Geotrek est donc de garder une cohérence dans l’application en tenant compte de ces besoins variés.
La reconnaissance des institutions
À sa création en 2012, peu de décideurs croyaient dans la possibilité qu’un logiciel libre puisse être concrètement utilisé dans les institutions publiques : comment un logiciel gratuit pourrait-il être de qualité, se demandait-on alors.
Depuis, les lignes ont bougé : le travail de plaidoyer d’associations comme l’APRIL, la démonstration par la pratique par Framasoft, mais également la loi pour une république numérique de 2016 qui encourage l’utilisation de logiciels libres dans les marchés publics. On dit souvent, “la voie est libre, mais la route est longue”, et inversement.
Récemment cité dans le rapport Bothorel, repris en exemple de réussite par la DINUM (direction interministérielle du numérique) et l’APIE (Mission Appui au patrimoine immatériel de l’État), Geotrek est souvent cité comme une « success story » d’un logiciel libre utilisé dans le secteur public.
Des structures comme des Parcs nationaux et régionaux, des départements, des communautés de communes, des comités du tourisme et de la randonnée ont ainsi déployé Geotrek, facilité par le besoin commun, la généricité et l’absence de licences payantes. Ils ont bénéficié du travail de conception et des développements initiaux sans les repayer et ont ainsi pu concentrer leurs ressources sur le développement de nouvelles fonctionnalités et modules, bénéficiant à leur tour au collectif. – Rapport Bothorel, 2016
Les ingrédients de l’adoption de Geotrek
Comment s'est constituée cette communauté vivante et active Geotrek ? Camille Monchicourt décrit les points fondamentaux qui selon son expérience ont permis l’émergence d’une telle communauté autour de Geotrek :
La généricité
La généricité désigne la possibilité de personnaliser les différents concepts de l’outil, par exemple les pratiques sportives créées pour les itinéraires sont bien souvent “Pédestre” et “VTT”, mais elles peuvent aussi servir à différencier des itinéraires de “Ski” et “Raquettes”. De nombreuses personnalisations sont en effet possibles, en passant par le nom des catégories de contenus touristiques jusqu'au style de l’export PDF.
Cette généricité permet l’utilisation de Geotrek dans des contextes différents, sur des territoires différents, et donc au sein de plus de structures.
La modularité
Geotrek est composé de différents modules, chacun étant dédié à la cartographie d’un type d’objet : tronçons pédestres, itinéraires, signalétiques, aménagements, contenus touristiques… On les catégorise soit en modules de “gestion”, soit en modules de “valorisation”.
Les modules peuvent être masqués s’ils ne sont pas utilisés, ce qui permet à l’utilisateur de se concentrer sur le ou les modules qui répond(ent) à ses besoins tout en disposant d'un outil très complet.
La documentation
Bien sûr la documentation autour d’un logiciel est toujours importante pour la pérennité du projet, cela est encore plus vrai dans le contexte d’un logiciel libre : des personnes aux profils variés et d’origines différentes vont installer ou utiliser l’outil. Par exemple, l’administratrice système d’un département peut s’occuper en interne du déploiement de Geotrek sans jamais avoir manipulé l’outil avant, elle aura donc besoin d’une documentation robuste: guide d’installation et de mise à jour, guide de contribution, liste de tous les paramétrages…
La documentation utilisateur (présentation du logiciel, guide d’utilisation) permet de connaître les fonctionnalités et possibilités, ce qui favorise l’adoption par les nouvelles structures qui identifient leur intérêt à l’utiliser.
La documentation de Geotrek-admin est disponible en ligne.
L’accompagnement
Même si la documentation est fournie, les utilisateurs apprécient de trouver un interlocuteur référent ou d’autres utilisateurs plus expérimentés pour répondre à leurs questions.
Les utilisateurs peuvent échanger sur plusieurs canaux de communication : tickets GitHub, liste de mails, salons de discussion Matrix / Element. Cela leur permet de savoir de quelles manières les autres structures utilisent l’outil, comment parvenir à certains résultats, de comprendre si une difficulté rencontrée provient d’un bug ou bien de leurs données…
L’animation
La communauté bénéficie des rencontres entre utilisateurs, des groupes de travail, du COPIL. Ces instances ne peuvent se concrétiser que si des personnes motrices les organisent et les animent. Il faut aussi répondre aux questions des utilisateurs sur les canaux de discussion, et y diffuser les nouvelles versions.
Des échanges avec d’autres organisations sont également nécessaires : les institutions publiques (DINUM, APIE, IGN par exemple), les partenaires potentiels (FFRandonnées, APIDAE et autres SIT tourismes) et plus largement les personnes intéressées dans le métier.
Cette mission d’animation est importante, et nécessite au moins un mi-temps : la plupart du temps ce rôle est endossé par le Parc National des Ecrins, acteur historique.
La maintenance
La pérennité de tout logiciel dépend de son maintien en conditions opérationnelles. Rester à jour sur les dépendances, travailler sur les performances, la refactorisation, diminuer la dette technique, est indispensable pour une application de cette ampleur.
Des intervenants techniques doivent pouvoir recommander les évolutions importantes et se charger de cette maintenance, qu’ils soient prestataires ou intégrés dans une organisation de la communauté.
Historiquement, Makina Corpus a joué un rôle majeur dans la maintenance de Geotrek et les recommandations d'évolutions nécessaires.
La communication
Pour être utilisée, l’application doit se faire connaître : il faut donc communiquer autour de son existence et de ses fonctionnalités. Cela se fait par le biais d’articles publiés par les différentes structures, via le site public, les réseaux sociaux, la presse, la présentation de conférences, dans des salons, etc. Il est également important de communiquer régulièrement sur les évolutions, les nouvelles fonctionnalités, lors de la publication des nouvelles versions.
Modèle de financement
En 2012, ce sont trois structures qui se sont alliées pour financer le développement de Geotrek : cela a permis de poser les bases de l’application de gestion de sentiers.
Au fil des années, des évolutions ont été financées individuellement par l’une ou l’autre structure souhaitant intégrer une fonctionnalité nouvelle, la création du site web, ou encore l’application mobile de valorisation. Toutes les structures utilisatrices bénéficient du financement de ces évolutions.
À partir de 2019, un premier groupement de commande a permis à plusieurs structures de constituer une enveloppe collective de financement d’évolutions conséquentes, telles que la création du module Outdoor, mais aussi des améliorations non visibles directement : mise à jour des dépendances, maintenabilité, refactorisation, amélioration des performances.
Le financement par plusieurs collectivités qui s’associent pour permettre des évolutions en profondeur est bénéfique pour la qualité des applications de l’écosystème Geotrek, mais demande un travail d’animation et de coordination important, ainsi que le suivi des participations aux commandes.
Le bilan de ce premier groupement de commande est globalement positif, puisqu’un deuxième est en préparation pour 2024-2026.
A l'avenir
Le futur de Geotrek
De nouvelles structures continuent de manifester leur intérêt pour Geotrek et décident de l’utiliser, la communauté continue donc à grandir.
GeoRivière
Le projet GeoRivière, a été publié en 2022, et nous espérons qu’il marche dans les pas de son grand-frère en suivant le même modèle et finisse par rencontrer le même succès. GeoRivière est dédié à la gestion des cours d’eau : il possède des briques logicielles communes avec Geotrek grâce à la généricité de ce dernier.
Ressources
Formations associées
Formations Geotrek
Formation Administration et personnalisation de Geotrek
Toulouse Nous contacter pour des dates
Voir la formationActualités en lien
Geotrek, une expérience exemplaire de projet innovant partagé par les structures publiques
L'APIE, la mission Appui au patrimoine immatériel de l'État sur le site du Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance a publié récemment un article intitulé "Le partage des innovations au sein du secteur public". L’application Geotrek est citée comme exemple de projet innovant qui a été mutualisé et partagé par plus de 120 entités publiques.
Geotrek : une communauté utilisateur en forte croissance
Retours sur les rencontres nationales des utilisateurs de Geotrek qui se sont déroulées les 7 et 8 novembre 2019 à Nîmes.
Geotrek, histoire d'un projet libre
Retour sur les publications issues du projet